vendredi 28 septembre 2018

108.


 Des offrandes sont déposées à leurs pieds. Un tam-tam joue pour tenter de les détendre. Des danseuses se contorsionnent en leur lançant des sourires respectueux.

  Nout, installée sur un trône, contemple les populations de petits humains qui viennent en longues processions déposer des cadeaux et de la nourriture pour les satisfaire. Elle a l'impression que tout a été trop facile : depuis que Geb a inventé la religion, ces petits hommes accourent de partout pour les servir avec dévotion. Cela lui semble presque malsain.
  Elle se tourne vers son compagnon, lui aussi installé sur un trône. Ce dernier hoche la tête en signe d'approbation à chaque nouvel élément déposé à ses pieds.
  - Je n'arrive pas à comprendre comment on peut passer aussi vite de l'envie de tuer à celle de vénérer.
  - René m'a permis de le comprendre : l'imaginaire de ces hommes est d'autant plus fort qu'il n'est pas vérifié. Ils sont complètement soumis à leurs croyances, alors ils ne réfléchissent pas et adorent obéir à des maîtres auxquels ils prêtent des pouvoirs magiques.
  - Quand même, tu as vu à quelle vitesse ils sont passés de la haine à l'adoration !
  - Ils semblent heureux de nous servir. Nous allons leur apporter tellement de connaissances qu'ils vont considérablement évoluer. Tu t'imagines combien de milliers d'années il leur aurait fallu s'ils n'avaient pas eu la chance de nous rencontrer ?
  - Ils y seraient peut-être arrivés sans nous.
  - Je ne crois pas. Nous allons leur offrir l'écriture, la médecine, la réincarnation, l'architecture.
  - Tu as créé une religion très subtile, dit Nout. J'admire ta créativité.
  - Né-hé m'a donné les grandes lignes, ensuite c'était facile. Je n'ai fait que suivre ses recommandations.
  Nout observe une petite femme qui brandit devant elle une statuette en bois la représentant. Elle s'en saisit et laisse échapper un soupir, puis à son tour hoche la tête en signe de remerciement.
  - Quand même. J'ai l'impression que nous abusons de notre ascendant sur eux...
  - L'important c'est la rédaction de notre rouleau. À ce sujet, la dernière fois que je lui ai parlé, Né-hé m'a demandé que tous les deux, nous portions en permanence un collier avec un dauphin bleu.
  Nout claque dans les mains. Aussitôt, deux petits humains accourent.
  Elle leur indique qu'elle veut manger. Quelques secondes plus tard, ils croulent sous les minuscules fruits locaux.
  - Cela me surprend qu'ils s'épanouissent à ce point dans la soumission.
  - Pourquoi vouloir à tout prix être libre et indépendant ?
  - Ils ne peuvent quand même pas aimer être soumis.
  - Et pourquoi pas ?
  Geb leur signifie d'un geste qu'ils doivent tous déguerpir car ils souhaitent s'entretenir tranquillement entre dieux. Il invite Nout à le suivre vers une table et déploie un parchemin sur lequel il a déjà écrit de nombreuses lignes.
  - Maintenant, grâce à ces rouleaux, il n'y aura plus de risque qu'on nous oublie. Tous les gens du futur sauront en détail comment on vivait sur notre île avant le Déluge.
  Geb reprend son bambou taillé pour poursuivre la rédaction de l'histoire d'Ha-mem-ptah, de sa destruction et de leur installation en Égypte.
  - Applique-toi, car si j'ai bien compris, dans 12 000 ans, ils seront huit milliards. Ce qui fait huit milliards de personnes qui pourront lire ce que tu écris maintenant.
  Geb approuve.
  - Et alors ce sera la gloire de Né-hé, l'homme qui aura révélé notre existence à ceux qui croyaient que nous n'étions qu'une légende.

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