vendredi 28 septembre 2018

85.

Geb s'est éloigné du groupe et entre en communication avec René, juché sur un promontoire rocheux en bord de mer.
  Le professeur d'histoire voit avec satisfaction les Atlantes réunis autour du grand feu.
  - Je suis tellement soulagé d'apprendre que vous avez réussi, Geb. Désormais tout est possible.
  - Grâce à toi, René. Les cent quarante-quatre rescapés savent ce qu'on te doit. Ici, on t'a baptisé Né-hé, sonorité qui correspond mieux aux noms de chez nous. On peut dire qu'avec cette idée de grand bateau tu as changé le cours de notre histoire. On l'a baptisé l'arche de Né-hé. En hommage à toi.
  - Je ne méritais pas tant d'honneurs.
  Les deux hommes contemplent les alentours du campement de fortune.

  - La faune et la flore sont très différentes de celles d'Ha-mem-ptah.
  - C'est ce que je vous disais : si vous avez suivi mes recommandations, vous êtes arrivé en Afrique du Nord, dans un pays qu'on appelle de nos jours l'Égypte. Forcément, ce ne sont pas la même faune et la même flore qu'en Atlantide.
  À ce moment, René voit quelque chose de surprenant : un minuscule chat s'approche et vient renifler les traces laissées par les naufragés.
  Qu'est-ce que c'est que cet animal ?
  Alors René observe mieux les alentours. Apparaît sous ses yeux ébahis un miniécosystème : de tout petits arbres semblables à des palmiers et des figuiers, d'autres petits chats, mais aussi de petits ânes, de petits dromadaires, de petites gazelles, de petits lions.
  Tout est comme miniaturisé.
  - Et puis il y a " eux ", signale l'Atlante.
  René distingue les tout petits hommes vêtus de vêtements en peaux qui les observent de loin. Ils brandissent des lances et des arcs.
  - J'ai soudain un doute, dit René. Vous faites quelle taille, Geb ?
  - Comment ça quelle taille ?
  - Vous mesurez combien ?
  - Je pense que nous n'avons ni le même calendrier pour mesurer le temps, ni les mêmes unités pour mesurer la hauteur. Il faudrait trouver un moyen objectif...
  Les deux hommes cherchent. C'est René qui trouve.
  - Les dauphins. Il y a des dauphins partout, en Atlantide et en Égypte. Vous me disiez que les dauphins tirent les bateaux.
  - Oui, ils se mettent à plusieurs pour les faire avancer.
  - À combien ?

  - Beaucoup.
  - Et ce sont les mêmes ? Je veux dire : est-ce qu'ils faisaient la même taille à Ha-mem-ptah et ici ?
  - Ceux de chez nous nous ont laissés en abordant l'Afrique et je n'en ai pas encore vu ici. Mais j'imagine que ça doit être les mêmes.
  - Parfait. Nous, les humains de l'époque où je vis, dans le pays où je vis, on pourrait dire que nous mesurons à peu près un dauphin. Par exemple, je mesure 1,75 mètre, c'est à peu près la taille de l'un de ces cétacés. Et donc vous, vous mesurez combien... de dauphins ?
  Geb est abasourdi.
  - Tu ne mesures que " un " dauphin ! Mais alors toi aussi tu es minuscule !
  - Nous sommes huit milliards d'humains à mesurer plus ou moins un dauphin. Chez nous, c'est la taille normale. Et donc, vous, Atlantes, vous mesurez combien ?
  - Hum... je mesure quelque chose comme dix dauphins.
  Silence.
  - J'ai dû mal entendre.
  - Dix dauphins, je mesure au moins dix dauphins.
  - Donc, vous faites 17 mètres de haut.
  - Oui, je crois que c'est encore le ratio de dix qui nous sépare. René, dans ton époque, dans 12 000 ans, il semblerait que vous ayez tout diminué : la durée de vie comme la taille. Tu es en fait tout petit.
  Le professeur d'histoire n'en revient toujours pas.
  - VOUS FAITES 17 MÈTRES DE HAUT !
  René comprend pourquoi il voyait des chats, des dromadaires et des ânes miniatures : à travers les yeux de Geb, il percevait le décor comme lui. Ce qui signifie qu'en Atlantide, déjà, les cocotiers, mais aussi les chats étaient dix fois plus grands. Tout là-bas était géant.
  Il comprend aussi pourquoi ils vivent dix fois plus longtemps : les grands organismes, comme les baleines, battent les records de la longévité animale. Un plus grand cœur, un plus grand cerveau permettent d'avoir une vie plus longue.
  - Geb, je dois t'avouer que je croyais avoir tout compris de votre monde. Mais je n'en ai eu qu'un simple aperçu. Cela me motive encore plus pour le faire renaître.
  - J'aurai besoin de toi, René, pour m'adapter à ce nouveau décor.
  - Justement, après la légende de l'Atlantide et celle de l'arche de Noé, enfin, de Né-hé, je crois que nous avons maintenant une troisième légende à transformer en information historique : les géants.
  - Les quoi ?
  - Les géants. Pratiquement dans toutes les mythologies, on trouve le récit d'une période où auraient vécu des géants, avant l'apparition de notre humanité. Dans la mythologie grecque, on les appelle les Titans. Dans la Bible, ce peuple de géants sont les Nephilim. Dans la mythologie hindoue, les Asura. Chez les Scandinaves, ces géants des origines sont les Jötnar.
  - Je ne comprends rien à ce que tu me racontes, homme du futur.
  - Je viens d'avoir une révélation : on nous a présenté comme des légendes et des mythes des histoires bien réelles : l'Atlantide, le Déluge, les géants. Vous ne vous imaginez pas combien cette information est extraordinaire pour un professeur d'histoire. Et vous ne vous imaginez pas combien j'ai envie de l'exposer à mes huit milliards de congénères.
  - Eh bien vas-y, expose-la, qu'est-ce qui t'en empêche ?
  - Les preuves concrètes. Il n'y a que mon témoignage comme preuve. Si je tente de diffuser ce que vous m'apprenez, on me répondra que je délire, que je suis fou, que je rêve, ou que j'ai des hallucinations. Il me faudrait une preuve irréfutable de votre existence, une preuve matérielle.
  Les deux hommes se replacent sur le promontoire rocheux. De là, ils voient en contrebas le campement des Atlantes installé autour d'un feu. Ils commencent déjà à construire des huttes.
  - Donne-moi un exemple.
  - Il faudrait... un objet. Quelque chose qui résiste au temps. Quelque chose d'incontestable.
  - Comme quoi ?
  Ça y est, j'ai trouvé.
  - Il faudrait que vous refassiez le coup des manuscrits de la mer Morte.
  - Rappelle-toi que lorsque tu fais des références à ton époque, cela n'a aucune signification pour moi.
  - Excusez-moi. L'idée serait que vous notiez sur des parchemins toute l'histoire du peuple atlante, avec le maximum de détails, pour que cela devienne incontestable. Vous notez les noms des personnes, des lieux, les dates selon votre calendrier. Vous ajoutez des dessins, des plans, des schémas. Vous consignez tout : les recettes de cuisine, les méthodes de voyage astral, la manière dont vous construisez les pyramides, vous expliquez votre gouvernement aux soixante-quatre sages, avec leurs noms, vous dessinez le plan de la cité de Mem-set. Vous racontez le Déluge et votre fuite. Plus il y aura de détails, plus cela sera crédible. Puis vous cousez ces pages pour en faire des rouleaux que vous introduisez dans des jarres et que vous cachez dans des grottes. Les 12 000 ans passeront et quand nous trouverons ces documents, nous pourrons les faire expertiser. La datation au carbone 14 confirmera la date.
  - Donc des textes, reliés en rouleaux et disposés dans des jarres... Mais comment trouver la bonne grotte ?
  - Il faudra en choisir une qui ne puisse pas être visitée par inadvertance. Donc une grotte peu accessible pendant les 12 000 prochaines années. L'idéal serait que vous arriviez à la fermer avec un gros rocher pour la dissimuler aux regards curieux.
  - Et cette grotte, tu penses pouvoir la trouver à ton époque ?
  - Je vais m'occuper de cette question dès demain. Pour l'instant, vous devez juste construire une cité. Une fois que vous aurez résolu tous les problèmes basiques de survie, il faudra vous mettre à rédiger ce texte sur votre civilisation et le déposer dans la grotte à l'emplacement que je vous indiquerai.
  Geb perçoit l'enthousiasme de son futur lui-même.
  - Je ferai ce que tu as dit. Et j'inscrirai sur les jarres le symbole que Nout et moi portons en collier autour du cou : un dauphin. Quant à notre cité, nous l'appellerons Mem-set. Comme notre capitale précédente.
  - Vous ne pensez pas qu'il vaudrait mieux trouver un nouveau nom ?
  - Si, tu as raison. Mem-set signifie " Cœur premier ", dans notre langage. Alors nous l'appellerons... Mem-phis, " Cœur deuxième ".




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