vendredi 28 septembre 2018

111.

René Toledano se met en position du lotus, ferme les yeux, ralentit sa respiration.

  Il faut que j'y arrive. Il faut que j'y arrive. Pas seulement pour moi. Pour Opale aussi. Pour qu'il y ait une possibilité de transmettre ces informations, un jour, quelque part, sans que tout ça soit oublié. Sans que je sois oublié.
  Il ferme les yeux, il descend lentement les marches qui mènent à la porte de l'inconscient. La poignée résiste.
  Je dois me calmer. Lâcher prise.
  Il inspire et souffle puis, délicatement, avec deux doigts, il baisse la poignée de porte qui cède enfin. Il se retrouve dans le couloir.
  Bien. Maintenant, retrouver Hippolyte.
  Porte 109.
  Il ouvre la porte, retrouve le soldat de la Grande Guerre qui dort dans la tranchée.
  - Bonjour Hippolyte. Vous me reconnaissez ?
  L'esprit du jeune homme se réveille alors que son corps continue de dormir. Il le reconnaît.
  - Bonjour René. Je ne pensais pas que vous reviendriez.
  - J'ai encore besoin de vos services.
  - Qu'est-ce qu'il vous arrive ?
  - Comme d'habitude. J'ai à nouveau besoin de m'évader. Comme vous avez été d'une efficacité redoutable la dernière fois et que je me retrouve dans une situation similaire, je fais une nouvelle fois appel à vous. Cependant, je crains que sortir de cette prison égyptienne soit plus difficile que de l'hôpital psychiatrique parisien.
  - Décrivez-moi votre situation.
  - Je suis enfermé à Scorpio, une prison de haute sécurité. Il y a plusieurs bâtiments surveillés par des caméras, et je souhaiterais libérer aussi d'autres amis dans d'autres cellules, mais j'ignore leur emplacement exact.
  - Combien de gardes ?
  - Je présume qu'il y en a beaucoup plus que dans une prison normale. Les murs sont plus hauts, les systèmes de surveillance plus élaborés.
  Le soldat réfléchit, avant de déclarer :
  - Désolé. Cette fois-ci, je ne pense pas pouvoir vous être utile.
  - Vous refusez de m'aider, Hippolyte ?
  - J'aimerais vous aider, mais je ne suis pas la bonne personne, René. Cela ne sert à rien que j'intervienne.
  - Vous baissez les bras ?
  - Je suis sûr que vous pouvez trouver un rêveur plus apte à vous sortir de là.
  - Vous êtes trop modeste, vous êtes un guerrier expérimenté qui a déjà fait ses preuves dans des situations très difficiles.
  - Vous essayez de me flatter, mais je sais qui je suis. Je suis un simple conscrit qui, pour obéir à ses supérieurs et sauver sa vie, a appris à combattre, mais je suis aussi jeune et finalement pas si expérimenté que cela.
  - Est-ce le moment de pécher par modestie ? Vous êtes décoré comme un héros. Vous êtes un vrai héros !
  - Moi, un " héros " ? Non ! Je ne prends aucun plaisir à tout cela. Je ne rêve que de paix et de tranquillité.
  - Vous êtes le cauchemar des Allemands !
  - Je suis un jeune homme qui a prévu de prendre des cours de dessin après la guerre pour devenir peintre. C'est cela ma vocation. Je suis un artiste.
  Je ne dois pas lui révéler la triste réalité de son avenir.
  - Donc vous refusez ?

  - Je refuse.
  - Je me permets d'insister.
  - Ma réponse est non.
  - S'il vous plaît.
  - J'ai dit non.
  Bon sang, j'ai un peu présumé de mon ascendant sur mes ascendants. Ils peuvent refuser de m'aider. Il faudra que je tienne compte de cet élément.
  - Désolé, René, croyez-moi, c'est mieux comme ça. Je connais mes limites. J'ai pris la mesure de la tâche. Une prison entière à affronter dans un pays étranger, et des camarades à libérer dans d'autres cellules dont vous ignorez l'emplacement, c'est bien ça ? Je suis désolé, mais il vous faut un guerrier beaucoup plus féroce et beaucoup plus expérimenté. Un vrai tueur, pas un banal conscrit. Un homme qui prend du plaisir à manipuler des armes, qui aime la guerre, qui aime la violence. Un homme plus âgé, plus sage et en même temps plus déterminé.
  Il a raison. Hippolyte va quand même se faire tuer par un simple soldat allemand. Je ne peux pas me permettre de risquer l'échec. Pas ici, si loin de la France, avec la responsabilité de ceux qui m'ont fait confiance.
  Alors René abandonne, franchit la porte, retrouve le couloir et, là, exprime un nouveau souhait : " Je veux rejoindre l'ancien moi-même le plus rapide, le plus fort, le plus maître de lui-même. Je veux celui qui soit le plus apte à me sortir de cette prison et à m'aider à sauver mes amis enfermés. Je veux rencontrer le pire tueur de toutes mes existences. "
  Il répète plusieurs fois sa requête et enfin une porte s'allume. La 71.
  Tiens. Juste avant Shanti.

  Il s'approche de la poignée de la porte avec une légère appréhension.
  Sur quel monstre vais-je tomber ?

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