vendredi 28 septembre 2018

68.

Ils sont toujours sous le choc de la disparition de leur famille, de leur capitale, de leur civilisation.
  - Nous avons encore des choses à faire, dit Geb. Il y a pire que mourir : être oublié. Et seul René peut nous éviter cela.
  - Nous sommes cent soixante-quatorze à porter la mémoire d'un monde englouti, nous allons œuvrer pour ne pas disparaître. Nos enfants poursuivront cette tâche après nous, répond Nout.
  - J'ai faim, dit Nephtys.
  Ils n'ont pas pensé à prendre de la nourriture. Il n'y a qu'une seule denrée disponible : des cadavres de poisson. Ce sont les dauphins qui les pêchent pour eux, puis qui les projettent avec leur rostre sur le bateau. Les passagers examinent les corps des sardines qui se tortillent en agonisant et trouvent cela répugnant.
  Partagés entre le dégoût et la faim, certains finissent pourtant par surmonter leur répulsion et approchent les chairs rouges de leurs lèvres. Plusieurs Atlantes qui ont ingurgité les sardines crues vomissent. Certains préfèrent jeûner.
  En une journée, ils découvrent de nouvelles émotions jusqu'alors inconnues d'eux. La peur, la tristesse, la colère, les regrets.
  Le fait de manger des cadavres d'animaux leur semble accroître encore ces quatre émotions négatives.
  Geb se concentre sur son activité de capitaine de bateau et veut perfectionner son art de la navigation. Il sent que quelque chose a disparu à tout jamais, mais, conformément aux préceptes atlantes, il se répète : " Rien n'est grave. Tout ce qui nous arrive est pour notre bien. "

  Il tente de se focaliser sur le futur plutôt que de vivre dans la nostalgie d'un passé irrécupérable. Il voit dans ses propres enfants une sorte de printemps possible pour la civilisation atlante qui vient de connaître son plus terrible hiver.
  Nout, de son côté, improvise une poésie chantée que tous entonnent à l'unisson pour faire vibrer leur âme et se réconforter mutuellement :
" Ainsi a été détruit tout ce que nous chérissions.
Ainsi a disparu tout ce que nous aimions.
Mais il reste la rouar dans notre sang.
L'énergie de vie résiste au temps.
Mem-set bat dans nos poitrines, cœur premier.
L'esprit de nos frères et sœurs disparus continue de briller.
Et tant que l'un d'entre nous respirera,
Ha-mem-ptah pour l'éternité vivra. "

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