vendredi 28 septembre 2018

54. MNEMOS. DAMNATIO MEMORIAE.


L'expression damnatio memoriae remonte à la Rome antique et signifie : " la condamnation de la mémoire ", ou plus simplement le fait d'être condamné à l'oubli, et désigne une punition, pour haute trahison, à un oubli post mortem.

Ce châtiment était considéré comme la pire chose qui pouvait arriver à un être humain puisqu'elle le poursuivait au-delà de la mort. C'était l'exact contraire de la consecratio, ou consécration, qui, rendant la personne sacrée, la sauvait à jamais de l'oubli.
La menace de damnatio memoriae était brandie par les Romains pour inciter les empereurs à ne pas commettre d'actes odieux. Et certains d'entre eux furent considérés dignes d'un tel châtiment.
Parmi ceux qui furent condamnés à la damnatio memoriae, on peut citer Marc Antoine (l'allié de César et amant de Cléopâtre, qui s'était opposé au premier empereur, Octave Auguste), Caligula, Néron et Commode (ces trois derniers étaient devenus fous, violents et sadiques) et un certain empereur Geta (dont on sait, et pour cause, très peu de choses, si ce n'est qu'il fut assassiné par son frère Caracalla pour que ce dernier puisse gouverner).
En cas de damnatio memoriae, leurs sculptures étaient détruites, leurs noms étaient effacés des inscriptions, les pièces à leur effigie étaient fondues et il était interdit, sous peine de mort, de prononcer leur nom.
Si l'existence de ces hommes nous est quand même connue, c'est grâce à des documents qui ont été préservés malgré tout, parce qu'ils étaient conservés dans des provinces éloignées où l'ordre de les oublier n'était pas encore parvenu.
Déjà, avant les Romains, les Égyptiens pratiquaient un châtiment similaire : le pharaon Akhenaton a ainsi été condamné à être oublié. Il était considéré comme hérétique parce qu'il avait voulu réformer et moderniser son pays avant d'être renversé par un complot de prêtres.

Le pharaon Ramsès II a été particulièrement actif dans ce travail d'effacement de la mémoire, puisqu'il a rayé plusieurs de ses prédécesseurs qu'il n'aimait pas. Il a ainsi éliminé toutes les cartouches faisant référence aux pharaons entre Amenhotep III et Horemheb (là encore, on a retrouvé des traces de leur existence grâce à des textes de provinces éloignées).
Chez les Grecs, Érostrate fut frappé de la même condamnation pour avoir mis le feu au temple d'Artémis. Ironie de l'histoire, il avoua avoir accompli ce geste précisément pour devenir célèbre...
Les nazis appliquèrent cette condamnation au père Alois Grimm, un jésuite qui avait osé s'opposer à Hitler. De même, Staline recourut à cette technique pour faire oublier tous les anciens révolutionnaires historiques, et tout particulièrement les compagnons de Lénine (notamment Léon Trotski, fondateur de l'Armée rouge). Ils furent systématiquement effacés des photos, et il était même interdit de prononcer leur nom.
Mais ce fut le dictateur communiste cambodgien Pol Pot qui, de 1975 à 1979, établit le plus grand système d'effacement de l'existence d'un humain conçu jusque-là, allant jusqu'à tuer toutes les personnes de sa famille, ses amis ou ses voisins - bref, tous ceux susceptibles de témoigner de son passage sur terre. Furent ainsi tués et officiellement oubliés 1,7 million de personnes, soit 20 % de la population cambodgienne de l'époque.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire