vendredi 28 septembre 2018

90.

Les Atlantes œuvrent à bâtir leur nouvelle cité.
  Des maisons de bois temporaires sont rapidement montées, en attendant que soient édifiées les maisons de pierre, plus pérennes. Leur village Mem-phis est situé bien plus au nord-ouest que la cité homonyme qui sera construite 10 000 ans plus tard.

  Les cent quarante-quatre rescapés s'habituent doucement à ce continent inconnu. Ils ont le sentiment d'avoir perdu ce qui leur était le plus précieux, mais ils se sentent en même temps chanceux d'avoir pu échapper à l'engloutissement de leur île.
  Parfois, des disputes éclatent sous des prétextes futiles. Un jour, Geb, qui vient de placer une poutre pour poser le toit d'une maison, s'arrête en entendant deux de ses congénères se menacer. Il se dirige vers Nout. Elle n'arbore plus sa coiffure compliquée ni la robe qui dévoilait ses seins quand ils habitaient l'Atlantide. Participant à la construction des maisons, elle porte une tunique simple qui lui permet de bouger sans se blesser.
  - Voilà que nous commençons à nous comporter comme les contemporains de Né-hé, en nous querellant pour des broutilles, regrette-t-il.
  - Le bon arrive avec le mauvais. La voile avec la perte de notre île. La traversée de la mer avec la consommation de viande marine. La découverte de la roue avec le travail. La technique avec le sentiment de propriété.
  - Et qu'est-ce qui viendra ensuite ? L'argent ? Le mariage ? Les chefs ? La police ? La justice ? La prison ? La torture ? Toutes ces notions étranges qu'a évoquées Né-hé.
  - Ha-mem-ptah était un sanctuaire préservé de tous ces maux, mais il est naturel qu'ici nous perdions notre sérénité.
  - Il faut que nous restions attentifs à la rouar qui circule en nous.
  La jeune femme essuie son front ruisselant et observe les alentours.
  - Tu les as vus ? demande-t-elle.
  - Qui ?

  - Les petits singes vêtus de peaux de bêtes. Ils sont encore là et ils me semblent de plus en plus nombreux.
  - Non, pas aujourd'hui.
  - Alors regarde discrètement à droite : un groupe s'est hissé sur le promontoire.
  Geb tourne lentement la tête et distingue en effet des silhouettes simiesques aux vêtements gris ou marron qui se cachent derrière les palmiers, vraisemblablement pour les épier.
  - À mon avis ce ne sont pas des singes, ce sont des primates. Les ancêtres des tout petits hommes qui vont vivre dans le futur. Les ancêtres de Né-hé.
  - Qu'est-ce qui te fait penser cela ?
  - Ils sont habillés et, si tu regardes bien, ils ont déjà des lances et toutes sortes d'objets pointus qui doivent être des armes. Or Né-hé m'en a parlé, il m'a dit qu'à son époque se déroulaient des guerres où des groupes de gens s'entretuent pour obtenir des territoires ou voler les richesses de leurs voisins.
  - Une lignée d'humains parallèle ! Mais comment, dans ce cas, pourrais-tu être l'ancien Né-hé ?
  - L'esprit circule librement dans les corps, il n'a pas besoin d'être incarné dans des corps de taille similaire, ni même dans des corps d'humains d'une même lignée. Peut-être même qu'avant d'être des corps de primates, ils étaient dans des corps d'animaux. Par moments, j'ai l'impression d'avoir été un dauphin.
  Elle désigne un de ces petits humains primitifs qui s'est approché, camouflé par les herbes hautes.
  - Et eux, pourquoi ils sont là ?
  - Nos habitations doivent les intriguer. Ils vivent certainement dans des arbres ou dans des cavernes.

  - Pourquoi ils ne tentent pas de communiquer avec nous ?
  - On doit leur faire peur. Tu n'aurais pas peur de gens qui te ressemblent mais qui sont beaucoup plus grands, toi ?
  - Ce sont plutôt eux qui m'inquiètent, admet Nout.
  - C'est parce que, depuis que notre cité a été détruite, nous avons découvert des émotions négatives inconnues. Mais il ne faut pas les laisser nous envahir, sinon nous aussi nous finirons par faire la guerre et être inquiets en permanence. Garde ta sérénité, c'est notre principale force. Rien n'est grave. Tout ce qui nous arrive est pour notre bien.
  Nout secoue la tête, peu convaincue.
  - Et s'ils nous attaquaient ?



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