vendredi 28 septembre 2018

116.

Les petits hommes cousent les parchemins pour en faire des rouleaux. Ils sont une centaine à travailler avec précision grâce à leurs minuscules doigts.
  - Depuis que nous leur avons appris à nous vénérer, tout se passe mieux, reconnaît Nout. La religion est vraiment la solution à tous les problèmes. Tu as vu avec quelle ardeur ils s'activent pour nous obéir ?
  - C'est vrai, nous servir a même l'air de les rendre heureux.
  - Et il n'y a pas que les parchemins ! Ils font tout très bien : l'approvisionnement en nourriture, la construction des maisons. Ils compensent leur petite taille par leur nombre.
  Geb se place près d'une ouverture dans le mur et scrute les larges artères remplies de petits humains habillés en tunique ou en jupe, qui font circuler des carrioles tirées par des ânes, des chameaux, des éléphants.
  - Né-hé m'a dit qu'un jour ils seront plus que des milliers, plus que des millions, ils seront des milliards.
  - Cela ne m'inquiète pas. Avec la religion, il sera très facile de leur faire faire ce qu'on veut quand on veut, sans qu'ils réfléchissent.
  - Ils se reproduisent si vite ! Ils n'ont aucun sens de l'autorégulation et de l'harmonie avec la nature. Ils font des enfants sans les aimer et sans les éduquer, regrette-t-il.

  - Tant mieux, nous les éduquerons avec la religion et cela nous fera encore plus de serviteurs dévoués.
  La jeune femme lui rapporte des fruits.
  - Cela peut s'avérer dangereux à la longue.
  - Tu penses qu'il faudrait faire quoi ? Leur demander de réduire leurs naissances ? demande-t-elle.
  La jeune femme boit à petites gorgées.
  - Moi, je crois qu'il faut les occuper.
  - Tu penses à quel genre de mission, Nout ?
  - Découvrir et domestiquer les territoires sauvages qui nous entourent.
  - Nous avons suffisamment de place, pourquoi vouloir s'étendre ?
  Plusieurs petits humains, ayant fini de coudre un parchemin, vont en chercher un nouveau pour l'ajouter au rouleau déjà constitué.
  - Se contenter de ce que l'on a est une idée adaptée à Ha-mem-ptah parce que Ha-mem-ptah était une île, donc un territoire déjà naturellement confiné. Ici nous sommes sur un continent, ce qui requiert que nous soyons un peu plus ambitieux. Il faut adapter notre civilisation à ce nouveau décor. Tu imagines si nos valeurs étaient diffusées sur tous les territoires que nous voyons lors de nos voyages astraux ?
  Geb observe du haut du balcon l'activité des minuscules indigènes qui, maintenant, s'apprêtent comme des Atlantes.
  - Cesse d'avoir peur de tout ce qui est nouveau. Pourquoi toujours agir de manière étriquée alors que notre esprit nous montre combien le monde est vaste et complexe ? ajoute Nout.
  - Parce que chez les humains de petite taille, tout a toujours un prix. Ce qui va bien s'équilibre avec ce qui ne va pas. Ils sont incapables d'imaginer un monde stable et harmonieux. Ils veulent toujours plus de tout jusqu'à ce qu'il y ait des problèmes. Ils sont naturellement comme cela.
  - Mais nous avons de nouveaux outils pour résoudre nos problèmes ainsi que les leurs, il me semble. Désormais, nous disposons de bateaux, de chariots avec des roues, de cultures agricoles sur de grands champs aux productions moins aléatoires que celles de nos anciens jardins individuels. Vois tout ce que nous avons fait en quelques décennies.
  - Et s'ils venaient à se révolter ? dit Geb en chuchotant pour que leurs serviteurs proches ne les entendent pas.
  - Nous sommes leurs dieux.
  - Pour ceux-là peut-être, mais qu'en sera-t-il de ceux qui vivent plus loin ?
  - Nos petits humains civilisés ont déjà pris d'eux-mêmes l'initiative de créer une armée pour nous protéger des autres petits humains sauvages qui voudraient nous attaquer, rappelle-t-elle.
  - Je n'ai pas confiance dans " nos " petits humains, reconnaît-il. C'est pour cela que je viens de les charger de créer une police.
  - Une police ?
  - C'est encore un concept que m'a enseigné Né-hé : ils se surveillent entre eux, et quand il y en a un qui se comporte mal, ils l'enferment dans une pièce appelée prison. Et s'il continue, eh bien ils lui donnent des coups.
  Geb se replace face à la grande table de bois qui lui sert de bureau et reprend la rédaction des parchemins. Il s'interrompt :
  - Maintenant qu'ils nous connaissent mieux, ils sauront trouver nos points faibles. Comme des enfants avec leurs parents.
  - Justement, nous les dominons par l'ascendant naturel que nous exerçons sur eux et la gratitude qu'ils éprouvent à notre égard. Et puis ne sous-estime pas le pouvoir de la religion, c'est un joug qui les maintient parfaitement sous notre contrôle. Leur imaginaire joue contre eux. Et leur imaginaire n'a pas de limite.
  - À ton tour, ne sous-estime pas le pouvoir de l'intelligence, Nout.
  Face au silence de Nout, Geb conclut :
  - Mais tant que nous n'avons pas de motif d'alarme, concentrons-nous sur notre projet : laisser les deux rouleaux décrivant notre civilisation dans les jarres. C'est là notre mission, actuellement la plus importante, car c'est comme cela que les hommes du futur sauront qui nous étions.

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