vendredi 28 septembre 2018

52.


  L'Atlante est nu, couché sur le dos, mais il ne dort pas.
  Une femme est assise à califourchon sur son bassin.
  Elle est de petite taille, brune avec des longs cheveux tressés terminés par des pierres bleues et noires incrustées. Elle aussi est complètement nue.
  Elle secoue la tête, et ses tresses plombées virevoltent en produisant un bruit de grelots. Elle ondule des hanches par saccades.
  Geb lui caresse les cuisses comme pour ralentir ses mouvements. Celle-ci ne se laisse pas influencer et semble s'amuser, comme une cavalière qui voudrait dompter sa monture. Elle fait voler ses longs cheveux qui fouettent l'air. Ses petits seins montent et descendent en rythme. Ils sont tous les deux en sueur dans la chaleur de la pièce et leurs respirations se synchronisent avec les mouvements de leur corps.
  Soudain, la jeune femme s'arrête et reprend les mêmes mouvements mais au ralenti, ce qui semble surprendre son partenaire puis faire monter son plaisir. Leur respiration reste égale, mais leurs corps deviennent bouillants. Elle l'observe, comme si elle attendait qu'il ait atteint un certain degré pour changer à nouveau de cadence.
  Au moment où René connaît la pire douleur, Geb semble connaître le plus grand plaisir. Le contraste entre les deux situations est d'autant plus saisissant que l'homme du futur comprend bien qu'il dérange l'homme du passé, qui ne tarde pas à l'apercevoir.
  - Qu'est-ce que tu fais là, René ? Ce n'est vraiment pas le moment, je suis occupé, au cas où tu ne le verrais pas.
  - J'ai besoin de vous, Geb.
  - Précisément, à cette seconde ? Cela ne peut pas attendre notre heure habituelle de rendez-vous ?
  La jeune femme sent qu'il est déconcentré.
  - Tu n'es plus là, Geb ? Que se passe-t-il ?
  - Ce n'est rien.
  - Tu as l'air de penser à autre chose. Tout va bien ?
  Alors, après une hésitation, l'Atlante fait signe à la femme qu'ils doivent se désunir. Elle reprend, préoccupée :
  - Tu as un problème ?
  - Non, pas moi, mais mon futur moi.
  La jeune femme manifestant son incompréhension, il précise :
  - Tu sais, l'homme de dans 12 000 ans qui m'a averti qu'un jour notre île allait être engloutie sous les flots ?

  - Le petit jeune de 32 ans ? Ne me dis pas qu'il tient à discuter avec toi maintenant ! Juste à la seconde où nous faisons pour la première fois l'amour ?
  Elle est déçue et s'éloigne pour tenter de se détendre. L'Atlante en profite pour se reconnecter à son futur lui-même.
  - Qu'est-ce qui te prend de me déranger, René ? Ce n'est pas notre heure.
  - Désolé. Je suis en train de me faire torturer.
  - " Torturer ", je ne connais pas ce mot. Cela veut dire quoi ?
  - Disons que des gens me font souffrir volontairement pour détruire mon cerveau. Leur but est que mon esprit soit " lisse " et que je ne puisse plus dialoguer avec vous. S'ils réussissent, nous perdrons le contact. J'ai besoin de votre aide tout de suite. Dites-moi comment je peux maîtriser mon esprit pour supporter cela.
  - À mon tour d'être désolé, René. Je ne crois pas pouvoir satisfaire ta demande car je n'ai aucune connaissance concrète de ton problème. Je n'ai jamais souffert, je n'arrive pas à imaginer ce qu'est la torture, donc je ne peux pas t'aider.
  - En 821 ans vous n'avez jamais souffert ?
  - Jamais.
  - Pas de crise d'appendicite ? Pas d'ulcère à l'estomac ? Pas de colique néphrétique ? Pas de carie dentaire ?
  - Notre santé est plutôt solide. Bref, n'ayant connu aucune souffrance, je ne sais pas comment on peut réagir.
  - Alors je fais quoi, moi ?
  - Eh bien, sur les 111 portes, tu trouveras peut-être une autre réincarnation qui connaît la douleur et les moyens de la contrôler. Après tout, il n'y a pas que moi dans tes vies passées...
  Un instant, René se dit que son ami atlante ne l'aime pas autant qu'il le pensait et qu'il ne cherche qu'à se débarrasser de lui pour poursuivre sa séance avec la jeune femme.
  Alors, sans perdre plus de temps en tergiversations, sans même saluer ou fixer un autre rendez-vous à Geb, René reprend la porte qui lui permet de revenir dans le couloir.
  Il n'approche surtout pas de la porte 112, qui risquerait de le renvoyer dans la pièce d'électrothérapie de l'hôpital. Il reste à errer dans le couloir de ses 111 vies précédentes et formule rapidement son vœu, en essayant d'être le plus précis possible : " Je veux visiter ma vie où j'ai le mieux su résister psychologiquement à la torture par l'électricité. "
  Une lampe rouge s'éclaire au-dessus d'une porte.
  La numéro 111. Sa vie précédente, donc, celle juste avant d'être René.



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