vendredi 28 septembre 2018

81.


  L'eau salée lui brûle la peau, mais Geb est cramponné au gouvernail de l'arche de Né-hé.
  Après de multiples avaries, mutineries, tempêtes, ils sont arrivés sur les côtes d'un continent dont René leur a parlé en disant qu'il s'appellerait un jour l'Afrique. Les dauphins ont cessé de les suivre.
  Suivant les conseils de son " futur lui-même ", l'Atlante a franchi le détroit de Gibraltar pour s'enfoncer en Méditerranée. Il a longé la côte nord-africaine, passant près de ces régions qui bien plus tard se nommeraient Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, pour arriver sur les côtes de l'Égypte.
  Mais alors que l'arche de Né-hé approche enfin de son objectif, les vagues se creusent. Le vent se lève à nouveau. La coquille de bois est malmenée par une bourrasque plus intense que les précédentes.
  Un craquement indique que la grand-voile vient de se déchirer dans toute sa longueur. À l'intérieur du vaisseau, chacun s'agrippe comme il peut aux éléments fixés à la coque. L'arche de Né-hé monte, descend, tangue de gauche à droite. Un nouveau craquement indique que la quille vient de se briser sur les rochers affleurants.
  Une vague, plus haute que les autres, projette la nef de bois contre un récif. Le vaisseau explose sous le choc dans un fracas de planches.
  Tous les passagers se retrouvent à la mer.
  Avant que Geb n'ait pu réagir, les cent soixante-six Atlantes survivants perdent tout appui et sont bringuebalés comme des bouchons flottants. Ils montent et descendent les crêtes d'écume, pris dans la furie des éléments. Le vent et l'eau s'acharnent sur eux.
  Geb, une fois qu'il s'est assuré que sa compagne et ses quatre enfants sont bien vivants, improvise une stratégie pour tenter de sauver le groupe. Il propose à tous les naufragés de se tenir par la main, de former un cercle et de ne pas se lâcher, de sorte que chacun ait ainsi deux voisins pour le soutenir. Nout propose d'entonner un chant pour se donner du courage.
  C'est à ce moment que se déclenche l'orage. Des éclairs illuminent la scène d'apocalypse et ces visages d'humains flottants qui pourtant ne cessent de chanter.

  Certains sont arrachés de la ronde par une vague, sans qu'on puisse les rattraper. Les mains des voisins, laissées vides, se cherchent pour refermer le cercle.
  Et c'est ainsi que les passagers de l'arche de Né-hé parviennent jusqu'à la plage, où ils gisent quelque temps sur le sable.

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