vendredi 28 septembre 2018

36.

Quand il rouvre les yeux, il est 3 h 20.
  Je suis resté pratiquement trois heures en Atlantide.
  Il ouvre son ordinateur et vite, de peur d'oublier tout ce qu'il a vu, il note chaque détail sur son fichier Mnemos : la cité de Mem-set, sa population, ses avenues, sa rivière, sa pyramide bleue, ses jardins, ses parcs, ses étangs, ses femmes aux seins dévoilés, ses hommes torse nu en jupe, ses chats, ses papillons, ses oiseaux. Il note aussi que c'est là un monde qui, n'ayant nul besoin de ce qui nous semble indispensable, ignore l'anxiété.
  Après avoir assassiné des soldats allemands durant la Première Guerre mondiale et un SDF à son époque, il lui est offert de sauver une civilisation complète.
  Ainsi, on ne peut pas fabriquer de machine à remonter le temps, mais on peut influer suffisamment sur l'esprit d'un être du passé pour qu'il prenne des petites décisions susceptibles d'être déterminantes pour ses contemporains.
  Nous sommes encore des primates naturellement agressifs. Nous n'avons pas sublimé notre part animale, alors nous vivons dans la peur, guidés par le sens du territoire et de la possession, désireux de posséder toujours plus de biens et d'objets dont nous n'avons même pas de réel besoin.
  Le skinhead voulait mon argent. Mon élève, Philippe, voulait montrer que, bien qu'adolescent, il était capable de défier un adulte censé représenter l'autorité. Pinel voulait me rappeler que je n'étais qu'un de ses subalternes. Comme chez les primates.
  René se lave les dents en écoutant la radio.
  Le présentateur annonce qu'aucun accord n'a pu être trouvé à l'ONU pour proscrire l'utilisation de pesticides qui déciment les abeilles. Le lobby de l'agro-chimie a scellé le sort de ces insectes.
  Nouvel attentat-suicide en Espagne, dans une gare en pleine heure de pointe. Là encore, malgré le cri prononcé juste avant la déflagration par la jeune kamikaze, la police penche plutôt pour l'acte isolé perpétré par un individu souffrant de troubles psychiatriques.
  Le présentateur évoque ensuite un emballement des systèmes d'intelligence artificielle à la Bourse ayant engendré une chute brusque des cours.
  C'est l'enjeu de notre génération : nous sommes coincés entre les dangers de l'intelligence artificielle et ceux de la bêtise naturelle.
  Puis le présentateur signale une nouvelle grève, non plus des trains, mais des avions, le démantèlement d'un réseau de traite des Blanches et d'esclaves en Libye, la naissance d'un nouvel enfant royal à la cour d'Angleterre, le retour de l'épidémie de peste et de choléra au Soudan, un typhon sur les Caraïbes, le test par l'Iran d'un nouveau missile potentiellement porteur d'une charge nucléaire.
  Enfin, il conclut sur l'évocation d'une étude effectuée par deux scientifiques norvégiens, portant sur l'évolution du quotient intellectuel dans le monde. Le QI moyen est passé de 102 pour les gens nés en 1975 à 99 pour ceux nés en 1991. L'explication, selon ces deux chercheurs, serait à chercher dans plusieurs directions : la pollution, mais aussi la dégradation de la qualité de la nourriture, de l'éducation, et l'exposition passive et prolongée aux écrans.
  La chronique météo annonce plusieurs jours de beau temps avec un risque de canicule.
  René écoute les actualités jusqu'au bout, et est rassuré qu'il ne soit fait aucune nouvelle référence au corps du SDF repêché dans la Seine.
  Il repense à l'étude norvégienne sur le QI. Ces deux scientifiques ont beau démontrer que l'humanité dans son ensemble devient de plus en plus stupide, personne ne semble s'en formaliser.
  Il songe à son dernier voyage en Atlantide.
  Si notre monde se reprend et s'améliore, il redeviendra comme il y a 12 000 ans. Peuplé de gens tellement subtils qu'ils n'auront besoin ni de religion, ni d'argent, ni de guerre.
  Il prend la résolution de ne plus manger de viande.
  Il décide aussi de s'habiller avec des vêtements colorés, jaunes, bleus, rouges ou verts, le noir et le gris envoyant selon lui des vibrations trop négatives.
  À partir de maintenant, il sait que chaque seconde est importante. Le compte à rebours a démarré.
  Comme pour souligner cette pensée, un énorme éclair illumine la pièce d'un flash argenté et des gouttes se mettent à consteller la fenêtre.
  Il a un frisson, puis s'endort avec des bribes de souvenirs de ce qu'il vient de découvrir. Il se dit qu'il a enfin trouvé le sens de sa vie.
  Je dois sauver les Atlantes.

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