vendredi 28 septembre 2018

31.


  Sur la devanture, en guise de logo, une pieuvre géante à un œil qui détruit des buildings en brandissant un verre à cocktail.
  Le café où Opale a proposé de se retrouver se nomme Le dernier bar avant la fin du monde. C'est un repaire de geeks, de fans de science-fiction, d'adeptes de jeux de rôle et d'autres jeunes Parisiens.
  Le décor est inspiré de l'univers de films comme La Guerre des étoiles, Star Trek, Matrix, Blade Runner, Le Seigneur des anneaux et Game of Thrones. Des serveurs déguisés servent des boissons fumantes aux couleurs fluorescentes, vertes, bleues, orange.
  René n'est jamais venu dans cet endroit et il se demande si le seul fait de fixer un rendez-vous dans un lieu si exotique n'est pas déjà suspect.
  Il s'assoit à une table sur une estrade ornée du portrait de H. P. Lovecraft, et d'une rosace de temple maya. Dans la salle, plusieurs clients déguisés sont absorbés par un jeu de plateau type Donjons et dragons.
  Sur un écran est diffusé un film catastrophe où une cité entière est détruite par un astéroïde.
  - Merci d'être venu, dit une voix derrière lui.
  Il se retourne et reconnaît la jeune femme avec ses longs cheveux roux et ses grands yeux verts. Elle s'assoit face à lui.
  Il l'observe plus attentivement et la trouve éblouissante. Elle prend la parole la première :
  - Votre SMS m'a vraiment surprise, reconnaît-elle. Pourriez-vous me raconter en détail votre séance d'autohypnose ?
  Il lui relate avec le maximum de précisions la première séance qu'il a effectuée seul. Elle l'écoute et le fixe avec un visage beaucoup plus bienveillant que les fois précédentes.
  - Comme je vous envie. Donc vous êtes un " client satisfait ". Je vais être honnête avec vous : quand vous m'avez envoyé votre message, le mot " Atlante " m'a fait tressaillir. Je crois que moi aussi j'ai été atlante.
  Elle a prononcé cette phrase sur le même ton désinvolte qu'elle aurait pris pour lui dire " moi aussi je suis gauchère " ou " moi aussi je mange des sushis ".
  - Et les gens réagissent comment quand vous leur dites ça ?
  - J'ai toujours été passionnée par ce sujet. Parfois, en songe, je vois des visages ou des événements dans des décors qui pourraient être ceux que j'imagine être là-bas.
  Elle paraît exaltée tout à coup.
  - Je veux que vous m'aidiez comme je vous ai aidé. Je veux que vous me guidiez pour aller là où vous êtes déjà allé.
  Un serveur déguisé en Dark Vador s'approche pour prendre la commande. Opale inspecte rapidement la carte et prend un cocktail Pan Galactic Gargle blaster (composé de vodka, gin, sirop de pistache, Sprite et Dragibus) et elle lui conseille un Martian treatment (gin, sirop de pastèque, jus de litchi, jus de pomme, concombre et basilic).
  - Vous savez, vous m'avez rencontrée dans des circonstances un peu particulières, mais je ne suis pas qu'hypnotiseuse, je suis aussi, à ma façon, scientifique. Et, pour moi, les scientifiques sont ceux qui sont à la pointe de l'exploration. Nous sommes là pour repousser les frontières du connu. Je veux savoir ce que les autres ignorent encore.
  Elle poursuit, en désignant les clients qui jouent.
  - Je crois que nous avons tous autant que nous sommes des dons particuliers. Nous sommes tous surdoués dans quelque chose et nuls ailleurs. Un peu comme dans un jeu de rôle, nous avons tiré nos talents et nos handicaps aux dés avant de naître.
  Le serveur leur apporte un verre avec une mixture rouge fumante et un autre jaune fluo. René marque sa méfiance devant l'aspect étrange de la boisson.
  - Merci, James, dit-elle.
  La jeune femme s'approche de lui.
  - Alors, vous acceptez de me guider sur le chemin de l'autohypnose ?
  - Ne me dites quand même pas que vous ne l'avez jamais pratiquée vous-même.
  - Je n'y suis jamais arrivée sur moi-même. J'offre aux autres ce que j'aimerais qu'on m'offre.
  - Une hypnotiseuse spécialisée dans les régressions qui n'a jamais exploré ses vies antérieures, c'est un comble.
  - C'est ma vie. Ce n'est qu'un paradoxe parmi d'autres : Beethoven était sourd, Nietzsche était fou, Monet vers la fin était aveugle, la Callas avait une maladie de gorge, mon boucher est végétarien et mon médecin est tout le temps malade. Comme dit le proverbe, " les cordonniers sont les plus mal chaussés ".
  Il commence à se détendre.
  - Eh bien, précisément, avant d'aller plus loin, je voudrais savoir qui vous êtes précisément, madame l'hypnotiseuse. Après tout, vous savez beaucoup de choses sur moi et je ne sais quasiment rien de vous.
  - Je ne vous ai rien caché.
  - Oui, mais vous ne m'avez pas raconté votre histoire.
  - Que voulez-vous savoir ?
  - Vous êtes hypnotiseuse et vous voulez être hypnotisée. Je suis professeur d'histoire, alors je veux écouter votre histoire.
  - Mon histoire ?
  - Nous sommes tous prisonniers de la légende que nous nous racontons sur nous-mêmes. Je veux savoir quelle est votre légende.
  - Comme ça ? En direct ?
  Elle prend un petit air mutin qu'il trouve charmant, et comprend que, comme tout le monde, elle aime l'idée de raconter sa vie, cela lui donne la sensation d'exister.
  Le professeur goûte son cocktail, le trouve bizarre, puis écoute le récit de la vie de la jeune femme.



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